« Vous pourriez reprendre votre fils autiste sévère à la maison pour les vacances car on manque de personnel ? » Comme pour Martine, la pénurie dans le médico-social promet un été brûlant pour de nombreuses familles. Que faire ?
Martine se dit « complètement désemparée et très angoissée ». Elle est maman d’un homme autiste de 41 ans, avec des troubles du comportements majeurs, accueilli depuis dix ans dans un Foyer d’accueil médicalisé (FAM) autisme de l’Adapei 69. Il est, selon elle, « entouré de professionnels très compétents et très investis dans leurs missions d’accompagnement ». Pourtant, l’été 2023 pourrait virer au cauchemar. « L’établissement nous demande de garder nos enfants à domicile pendant les vacances, par manque crucial de professionnels. » Selon Martine Gaillet, cette situation « insupportable met en péril l’équilibre de (son) foyer, sur le plan psychologique, mais aussi le bien être de (son) enfant ». « Sans structure adaptée durant plusieurs semaines, il va présenter des troubles du comportement qui peuvent être irréversibles ! », alerte-t-elle.
Pas d’obligation de reprendre son proche !
« Il n’y a aucune obligation pour un parent de reprendre son proche à domicile, rappelle Arnaud Goasguen, directeur de l’Adapei de Loire-Atlantique (l’Adapei 69 n’a pas souhaité répondre à nos questions). Ce serait une rupture de contrat et ce n’est pas légal. » Si Martine connait ses droits, elle juge que « le gros turnover d’intérimaires rend tout de même la situation critique ». « On ne trouve personne pour s’occuper de personnes autistes sévères. » Elle refuse de revivre les 56 jours de confinement avec son fils, une épreuve après laquelle elle s’est effondrée. Même pour une semaine, elle s’en dit « incapable ». Lorsqu’elle a entendu parler des problèmes pour l’été 2023, Martine a paniqué. Elle est loin d’être la seule…
Des places d’accueil temporaire
Pour André Masin, président d’AFG autisme, cette « problématique est bien connue ». Pour répondre à ce besoin, l’association a, par exemple, mis en place au sein de ses établissements avec hébergement quelques « rares (trop rares) places d’accueil temporaire ». « Ce sont de réelles contraintes pour le gestionnaire mais elles offrent des solutions ponctuelles par exemple pour des parents, parfois âgés, qui ont besoin d’un répit, avec ou sans leur protégé », explique-t-il. « Heureusement, chez AFG, nous n’en sommes pas encore à demander aux familles de reprendre leurs protégés pour que les professionnels puissent prendre leurs congés mais ça risque d’arriver de façon générale si rien n’est fait. »
Surtout dans les MAS et FAM
Cette pénurie critique est observée dans les MAS et FAM. Elle s’est aggravée depuis deux ou trois ans, le confinement ayant rebattu pas mal de cartes dans le monde du travail. « Et ça risque de durer encore quelques années, s’inquiète Sophie Biette, de l’Unapei, avec des pics chaque été. » A l’échelle nationale, il n’y a pas d’homogénéité des situations, avec des zones en très fortes tensions, par exemple à proximité de la Suisse où les Français se sont exilés pour de meilleurs salaires, ou dans les zones peu touchées par le chômage où certains salariés préfèrent changer de métier pour ne plus avoir à travailler le week-end.
Le système D
Pour parer à l’hémorragie estivale, c’est le système D. « A l’été 2022, où le problème s’est posé pour nous dans le 44, on a essayé de prendre les enfants la moitié du temps, par exemple tous les après-midis, explique Sophie Biette. Mais ce problème impacte surtout les établissements avec accompagnement H24. » Un « étayage à domicile » peut aussi être proposé avec la visite d’équipes mobiles en soutien via un SAAD (Service d’aide et d’accompagnement à domicile). On réunit également les familles pour voir ce que chacun peut faire : ne confier son proche que l’après-midi, rallonger ses vacances, leur demander d’accompagner une balade… « Ça peut même avoir un côté positif car on renforce le lien entre familles et pro », observe Sophie Biette. Les équipes « bidouillent » et la direction assure l’accompagnement ou nourrit les résidents s’il le faut. « Toutes les forces en présence sont mobilisées car la crise est extrême », assure Arnaud Goasguen. Martine Gaillet réagit : « On propose en effet aux parents de venir donner un coup de main mais, pour les personnes autistes sévères, qui vivent dans des unités spécifiques, c’est impossible ». Elle a également essayé de confier son fils à des centres de vacances spécialisés mais ce fut un échec car les encadrants bénévoles n’étaient pas formés.
Solutions d’urgence ?
Dans le 44, les gestionnaires d’associations sont en ligne directe avec la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour traiter les situations urgentes, notamment via le déclenchement rapide d’une PCH (Prestation de compensation du handicap) aide humaine pour assurer un renfort au domicile. « Mais si on nous notifie des heures, et qu’il n’y a personne, le problème n’est pas réglé », insiste Sophie Biette, puisque la pénurie affecte aussi ce secteur. Des cellules de crise sont également mises en place au sein des Agences régionales de santé (ARS). Pour les personnes sans famille, c’est parfois l’hôpital qui fait office de roue de secours mais il est aujourd’hui exsangue. En Loire-Atlantique, deux hôpitaux psychiatriques vont fermer leurs portes cet été et ne pourront plus prendre le relais en cas de coup dur… « La réalité, c’est que, s’il n’y avait pas assez de professionnels pour maintenir l’activité, on serait obligé de fermer », poursuit Arnaud Goasguen.
Anticiper pour gérer la crise
Voilà 18 mois que l’Adapei 44 est en ordre de bataille pour recruter, menant des actions tous azimuts, à la fois pour gérer l’urgence et construire sur le long terme. Elle organise des jobs dating, mobilise la préfecture pour ouvrir des places en alternance, signe une convention avec des lycées et des promotions d’éducateurs pour recruter en apprentissage. Ainsi 100 stagiaires sont venus grossir les rangs des 1 800 salariés ! « Il y a malgré tout un gros problème de déqualification des métiers de l’accompagnement et du care, et nous devons faire un travail énorme de réappropriation auprès des jeunes », ajoute Arnaud Goasguen. Des journées portes-ouvertes ont donc été organisées dans une centaine d’établissements du département pour approcher les futurs candidats et « informer sur ces métiers qui ne sont plus à la mode depuis 25 ans », selon Sophie Biette. A l’initiative de huit associations locales, une société régionale inter-associative de recrutement dans l’interim (ETTIC 44) a vu le jour car, « pour les jeunes, les CDI c’est has been ». Elle constitue une sorte de « coopérative de sourcing et un vivier important » capable de répondre à la demande estivale ponctuelle. Ces actions menées depuis la crise sanitaire commencent à porter leurs fruits. Si la situation demeure « compliquée » dans le département, l’Adapei 44 a « bon espoir de passer l’été ».
Un appel au gouvernement
Pour Arnaud Goasguen, le problème est plus structurel et, malgré les effets d’annonce, les revalorisations du Ségur promises par le gouvernement n’ont pas encore été suivies d’effet, ce qui impacte fortement la trésorerie des établissements. « Sans un rattrapage urgent, on va droit au tapis », prévient-il, rappelant que les ESMS (établissements sociaux et médico-sociaux) ont un « rôle de service public ». Pour André Masin, « le gouvernement ne fait aucun effort et joue la carte du pourrissement pour faire des économies. Sauf que ça génère un vrai souci de mobilisation, de vocation, de reconnaissance ». Dans la même veine, « il serait urgent de revaloriser les professions du médico-social et de leur octroyer un salaire à la hauteur de leurs engagements et des difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur métier », conclut Martine Gaillet.
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