A défaut de place en IME, les parents de Martin, autiste sévère, saisissent la justice via un référé-liberté, qui leur donne raison dans un 1er temps. Mais le Conseil d’Etat casse cette décision au motif qu’il n’y avait pas de condition d’urgence.
Martin (le prénom a été changé), 10 ans, est autiste sévère. Mais il ne bénéficie pas de l’accueil espéré au sein d’un IME (Institut médico-éducatif) normand, L’Escale, qui lui a pourtant été notifié par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour la période 2019-2025. Faute de places disponibles, il reste sur liste d’attente. En attendant, il bénéficie, depuis 2018, d’un accompagnement partiel en hôpital de jour qui risque d’être réduit à deux jours et demi par semaine à la rentrée. Le médecin hospitalier mentionne, dans un certificat, que Martin « tire de moins en moins bénéfice de cette prise en charge », annonce qu’une sortie de l’hôpital de jour est prévue pour l’été 2023 et conclut qu’une « prise en charge globale en établissement spécialisé est indispensable pour relancer sa motivation et lui permettre de progresser ». Mais c’est l’impasse !
Le référé-liberté, c’est quoi ?
Ces parents, las d’attendre une option définitive, décident de s’en remettre à la justice pour obtenir une « admission immédiate ». Au-delà du cas personnel de Martin, cette situation met en lumière la prise en compte défaillante des enfants avec autisme en France, un véritable sport de combat. La famille de Martin entend donc, par cette action, apporter une réponse à d’autres parents. Elle saisit alors le tribunal administratif de Caen via un « référé-liberté ».
Cette procédure peut être utilisée à condition de remplir deux modalités rigoureuses : « en cas d’urgence » si une décision administrative porte une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Cette requête est adressée au tribunal administratif. L’assistance d’un avocat n’est pas obligatoire. Le juge doit se prononcer dans les 48 heures.
Jugement en faveur de la famille
Le 6 juillet 2023, le juge des référés rend son verdict, donnant raison à la famille. Il enjoint tout d’abord l’Agence régionale de santé (ARS) de mettre en place, « à très brève échéance », un dispositif provisoire de prise en charge de tous les enfants avec autisme sévère en rupture de parcours scolaire en lien avec l’IME L’Escale. D’autre part, il somme la rectrice d’académie d’élaborer un plan temporaire de résorption du manque de places destinées à ces enfants, en lien avec la MDPH de Seine-Maritime.
Puis annulation par le Conseil d’Etat
Cette décision aurait pu faire jurisprudence au niveau national. Mais les pouvoirs publics décident de faire appel. Le Conseil d’Etat, juridiction suprême, est saisi par le ministère de la Santé et l’ARS Normandie. Et, le 27 juillet 2023, annule cette décision. Pour quel motif ? Si la décision du tribunal de Caen est louable, elle se heurterait manifestement à deux principes, le droit et la réalité.
Tout d’abord, le droit. Selon le Conseil d’Etat, le « référé-liberté » ne peut être invoqué dans cette affaire car il n’y a pas de « condition d’urgence » ; en effet, des propositions, même si elles demeurent transitoires et insatisfaisantes, ont été soumises à ces parents après que les services compétents ont été alertés sur leur situation. Par ailleurs, si « une carence dans l’accomplissement des missions de l’Etat est de nature à engager sa responsabilité », ici, « aucune atteinte grave et manifestement illégale n’est portée à une liberté fondamentale » définie dans l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
Ensuite, la réalité. Le Conseil d’Etat a jugé que les mesures réclamées par la famille sont « structurelles, pérennes » et ne peuvent donc « être mises en œuvre dans un délai bref ». Le juge des référés de Caen aurait manifestement outrepassé le droit.
Une solution personnelle
Une solution provisoire est néanmoins proposée à Martin qui sera suivi tous les matins et le mercredi à l’IME L’Escale et les après-midis en hôpital. Si elle satisfait en partie sa famille, elle ne règle en rien le problème des autres parents. Or tous ceux qui sont dans l’impasse n’ont pas forcément les aptitudes pour faire valoir leurs droits.
AESH, même sanction
Cette décision du Conseil d’Etat fait écho à une autre, prise en décembre 2021. Une famille de l’Isère avait saisi la justice pour contraindre l’Education nationale à lui fournir la totalité des heures d’AESH (Accompagnant d’élève en situation de handicap) notifiées.
Sans remettre en cause le bienfondé de la demande, le Conseil d’Etat avait annulé ce référé-liberté pour les mêmes raisons, c’est-à-dire l’absence d’atteinte grave à l’éducation et de situation alarmante. Une interprétation très a minima du droit à l’éducation, qui pose la question de son effectivité. Par ailleurs, le Conseil d’Etat précisait que cet accompagnement peut être subordonné aux « moyens dont dispose l’académie », ce qui constitue une rupture d’égalité territoriale manifeste.
D’autres actions ?
Dans ce type de conflits, d’autres actions existent, comme le « référé-suspension » ; s’il n’impose pas de critères aussi restrictifs que le référé-liberté, il ne permet pas d’obtenir une décision dans l’urgence puisqu’il faut parfois compter trois mois. Enfin, l’Etat serait probablement sanctionné dans une procédure classique mais qui pourrait prendre jusqu’à deux ans. Pour les familles, donc, aucune solution à court terme ?
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