Initialement créé pour les personnes handicapées, l’emploi accompagné pourrait s’ouvrir à de nouveaux publics éloignés de l’emploi. Si oui, comment échapper à l’empreinte médico-sociale ? Via le transfert de sa gestion des ARS aux Dreets* ?
* ARS : Agences régionales de santé
DREETS : Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités
Nous avons posé la question à Yorick Pedersen, directeur du Collectif France pour la recherche et la promotion de l’emploi accompagné (CFEA).
Handicap.fr : Initialement créé pour les personnes en situation de handicap, l’emploi accompagné s’ouvre aujourd’hui à de nouveaux publics…
Yorick Pedersen : Absolument, l’EUSE (European union of supported employment ou Union européenne de l’emploi accompagné) a montré que l’EA fonctionne aussi très bien pour les personnes en difficulté qui ne sont pas en situation de handicap. Elle le préconise notamment pour les « neets » (Youth not in employment, education or training), ces jeunes qui ne sont ni en emploi ni en formation, mais aussi les personnes qui sortent de prison et celles qui font face à des conduites addictives. Nos voisins flamands ont élargi sa définition à celles ayant un « problème social, aux migrants et aux personnes peu éduquées et pauvres ». Les pays d’Europe du Nord, notamment la Norvège et la Finlande, l’ont également ouverte, de manière expérimentale, aux « neets et aux migrants primo-arrivants ».
H.fr : Jusqu’à maintenant, ce dispositif était-il un « eldorado » pour les grosses associations gestionnaires, et l’arrivée de ces nouveaux publics peut-elle changer la donne ?
YP : L’emploi accompagné étant né à la suite d’appels à projets lancés par les ARS, une majorité de structures qui ont répondu relevaient du médico-social, ce qui n’était pas forcément l’objectif de la loi. La plupart des grosses associations gestionnaires sont donc effectivement impliquées. Parler d’eldorado me chagrine un peu… Derrière chaque volonté d’accompagnement et d’aide aux personnes, se cachent évidemment des réalités économiques, c’est un fait, car l’argent est le nerf de la guerre, mais le modèle économique de l’EA reste fragile ; les plus petites associations gestionnaires ont des équilibres économiques très précaires, les plus grosses sont plus résilientes mais ce n’est pas pour autant un « eldorado ». Elles n’ont pas forcément besoin de l’emploi accompagné pour vivre financièrement mais elles ont compris son intérêt et notamment le fait qu’il apporte une réponse forte au décloisonnement.
H.fr : Pourraient-elles avoir un rôle à jouer, y compris avec d’autres publics ?
YP : Cette question mérite réflexion. L’emploi accompagné, en France, ne s’est pas développé en un jour. Avant la loi de 2016, il y a eu un travail de trois ans dans le cadre du Groupement prioritaire de santé (GPS) emploi qui a permis de définir les publics et la manière dont le structurer. Aujourd’hui, il serait dangereux d’ouvrir ce dispositif à d’autres publics sans avoir travaillé sur les fondements.
H.fr : Ce sont donc les prémices mais, en France, nous ne sommes pas encore engagés dans cette démarche ?
YP : Non, nous n’en sommes pas là. Olivier Dussopt n’a fait qu’annoncer, en septembre 2022, son souhait de réfléchir à cette ouverture.
H.fr : Où en est la mesure, inscrite dans la loi plein emploi, qui permettrait à l’emploi accompagné de ne plus être dans le giron des ARS mais de la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et, par conséquent, rattaché à un budget « emploi » et non plus « santé » ?
YP : Ce n’est pas l’objectif premier de la loi plein emploi mais, effectivement, cette loi qui est en cours de débat au Parlement devrait aménager l’article du Code du travail qui parle de l’emploi accompagné. Le projet de loi a été voté au Sénat en juillet 2023, il sera débattu début octobre à l’Assemblée nationale. Il prévoit notamment que l’emploi accompagné devienne un dispositif organisé par l’Etat.
H.fr : Il est organisé par qui jusqu’à présent ?
YP : Sur le terrain, il est dirigé par les délégations régionales et territoriales de l’Agefiph et du Fiphfp (ndlr : fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées dans le privé et le public) et les ARS, sachant qu’elles ne sont pas centralisées.
H.fr : C’est donc l’enjeu d’une organisation par l’Etat : la centralisation.
YP : Exactement. Il va falloir attendre que cette loi soit votée, d’une part, mais aussi la loi de finances. Si tout est voté, en 2025 le budget sera transféré vers le ministère du Travail. L’emploi accompagné sera donc financé et structuré autour de la DGEFP (Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle) et des Dreets ; l’Agefiph et le Fiphfp conservant leur place à la table des financeurs.
H.fr : Et ça changerait quoi concrètement ?
YP : Le premier changement, c’est d’abord l’image. Ce n’est pas que symbolique. Aujourd’hui, l’EA a une image très « médico-sociale », très réductrice. Or il a une double expertise : emploi et social. Cette mesure permettra de mettre l’accent sur la partie emploi. Sachant que la DGEFP est déjà l’administration qui s’occupe de l’emploi en France, cela permettra, à terme, une meilleure cohérence avec les autres dispositifs et, dans un second temps, l’homogénéisation des financements et du déploiement des plateformes.
H.fr : Et l’homogénéisation des pratiques ?
YP : C’est un défi énorme, d’abord parce que l’augmentation du nombre de conseillers est très rapide et que les besoins pour demain sont bien plus forts, mais aussi parce que la structuration s’est faite sur le terrain autour de structures qui avaient chacune sa propre histoire.
H.fr : Mais il existe tout de même un socle commun ?
YP : Oui, par la loi mais tout l’enjeu aujourd’hui est la formation des professionnels et la mise en place d’outils. Nous sommes très heureux que, depuis juillet 2023, le titre professionnel de « conseiller emploi accompagné » soit inscrit au répertoire principal du RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), ce qui permet aux accompagnants de posséder un diplôme reconnu par l’Etat, au niveau master 1, et d’exercer un métier qui est également reconnu. Cela n’existait pas avant. La seule définition légale était celle inscrite dans le Code du travail.
H.fr : Ces conseillers seront-ils alors formés pour accompagner de nouveaux publics ?
YP : L’EA est une manière d’accompagner qui reste transversale et convient à tous les publics. Ce qui n’empêche pas que certains conseillers peuvent être mieux outillés pour accompagner un public spécifique, comme les personnes avec un trouble du spectre autistique ou psychique.
H.fr : Quel est le profil de ces professionnels ?
YP : Assez variés mais les proportions sont relativement homogènes entre ceux qui viennent du monde de l’entreprise et ceux issus du médico-social.
H.fr : Combien de travailleurs un accompagnateur a-t-il en charge ?
YP : C’est très variable. La moyenne actuelle est de 17,5. Les moyennes internationales, dans des pays qui ont un peu plus de maturité, sont à 20 environ.
H.fr : Face à la pénurie de travailleurs dans le médico-social, le défi majeur est-il de recruter ou cela peut-il être compensé par les professionnels issus du milieu ordinaire ?
YP : Le défi majeur est d’abord de conserver les compétences et de les développer. L’emploi accompagné est un dispositif qui reste jeune, qui implique un besoin de structuration et d’homogénéisation des pratiques. Mais, effectivement, la capacité des plateformes d’EA à accompagner 30 000 personnes demain implique de recruter de nouveaux professionnels mais aussi d’accueillir, au sein de ces plateformes, des structures extérieures non conventionnées qui pratiquent déjà de l’emploi accompagné.
H.fr : Où trouver l’info ?
YP : Un Centre de ressources de l’emploi accompagné a été inauguré au printemps 2023. Ce site web a été développé pour les professionnels, les employeurs mais aussi les personnes accompagnées ou intéressées. Un autre de ses objectifs est de mettre en œuvre des projets de recherches scientifiques de manière à déboucher sur de nouveaux outils et de nouvelles applications concrètes.
H.fr : Seulement à l’échelle française ou européenne ?
YP : Nous commençons en France mais c’est un projet dont nous avons déjà parlé avec nos partenaires européens et que je vais aller présenter à Barcelone (Espagne) en octobre 2023 lors du conseil d’administration de l’EUSE.
H.fr : Certains pays, étant en avance sur le sujet, pourront donc apporter leur expertise…
YP : C’est bien l’objectif, à terme. L’ambition du CFEA est de faire converger les forces vives de manière à avancer ensemble. D’autres pays, sans parler d’avance ou de retard, ont des cadres, dans lesquels le dispositif se développe, différents de la France pour des raisons juridiques mais aussi culturelles.
H.fr : Il n’y a donc pas de modèle unique ?
YP : L’emploi accompagné est une méthodologie qui repose sur des valeurs fondamentales, partagées par tous les pays, mais avec des disparités sur sa mise en œuvre. En France, il ne concerne, pour l’instant, que les personnes qui ont une RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Certains pays, ayant une approche du milieu protégé très différente, vont peut-être nous apporter un regard nouveau et interroger différemment cette pratique.
En savoir plus !
Vaste projet que celui de l’emploi accompagné. Pour l’explorer dans le détail, Handicap.fr vous propose une série en quatre articles, à découvrir en cliquant sur les liens suivants :
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