Peu anticipé par les pouvoirs publics, le vieillissement des personnes handicapées devient une question sociétale urgente. Quelles solutions ? Des associations se mobilisent pour apporter des réponses.
A 45 ans, Audrey est loin, très loin de la retraite. Cette agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (ATSEM) mène son quotidien comme tout un chacun, à un détail (ou chromosome) près. Audrey est porteuse de trisomie. Son conjoint aussi. Si elle côtoie le milieu ordinaire depuis sa scolarité, c’est différent pour Ivan, son compagnon. De huit ans son aîné, le quinquagénaire est « déjà sur le déclin », selon Lisette Chabaud, la mère d’Audrey. D’après elle, l’inactivité serait à l’origine de ce vieillissement précipité. En effet, Ivan a travaillé dans un ESAT jusqu’à 45 ans et, à la suite d’un léger accident de travail, est parti en retraite anticipée. Malgré les quelques missions éparses de bénévolat, c’est le désœuvrement voire l’ennui qui habitent son quotidien désormais. « Audrey, qui reste en progression d’autonomie, très mobilisée et active dans son travail, est devenue son aidante », constate Lisette Chabaud. « Certes, le vieillissement des personnes handicapées est un phénomène nouveau, mais il faut que les pouvoirs publics s’attèlent à ce sujet, et vite », incite-t-elle.
Une problématique démographique nouvelle
Au 13 rue Cambon, dans le 1er arrondissement de Paris, Pierre Moscovici semble avoir pris la mesure de l’ampleur de cette problématique. Le président de la Cour des comptes donnait rendez-vous le 13 septembre 2023 à la presse pour présenter un rapport, le premier du genre, sur l’accompagnement des personnes en situation de handicap vieillissantes. Premier constat de l’ancien ministre de l’Economie : il n’existe pas de définition administrative de la personne handicapée vieillissante. En cause, le caractère novateur de cette problématique démographique. « Nous y sommes confrontés depuis une dizaine d’années », confie Philippe Besson, directeur de l’Association des infirmes moteurs cérébraux et polyhandicapés (IMCP) de la Loire et membre de Paralysie cérébrale France. Or cela n’a pas été anticipé par les pouvoirs publics. « C’est une question de société majeure et une dépense qu’il faudrait être capable de prendre en charge, dans une logique de rationalité », affirme Pierre Moscovici.
Des besoins rarement satisfaits
L’institution appelle ainsi l’Etat à améliorer le pilotage public de l’offre médico-sociale et à investir un milliard d’euros par an pour répondre aux besoins, rarement satisfaits, de ce public (Lire : Grand âge et handicap : un accompagnement dégradé?). Difficultés à trouver des places dans des institutions adaptées ou encore transfert en EHPAD qui précipitent le déclin de personnes handicapées encore relativement jeunes sont autant de problématiques relevées. « Passer dans une maison de retraite ordinaire à 60 ans à peine, parfois dès 40 ans, c’est une erreur fondamentale. Quelqu’un de 60 ans n’a rien à voir avec une personne de 80 ans, ça perturbe l’un et l’autre », alerte Lisette Chabaud. Cette dernière, engagée au sein de l’association Trisomie 21 France, milite pour développer des méthodes pour « vivre le plus longtemps en autonomie » et « supprimer la barrière d’âge dans les foyers », complète Philippe Besson. Pour lui, la vérité se trouve entre le « tout inclusif et le tout institutionnel ». « Il faut renforcer l’aide humaine et mettre à niveau les allocations pour préserver ces personnes le plus longtemps dans leur structure ou à domicile », ajoute-t-il.
Accompagnement médical, psy et social
La Fondation des amis de l’atelier, qui accompagne des enfants et des adultes en situation de handicap mental, psychique et avec autisme, étudie le virage de la vieillesse avec beaucoup d’intérêt, sachant « qu’il intervient de manière plus précoce chez les personnes en situation de handicap ». 43,2 % de ses bénéficiaires ont, en effet, plus de 40 ans. Pour la fondation, « l’accompagnement doit être pensé à la fois sur le plan médical, psychologique et social ». Trois de ses établissements sont aujourd’hui « entièrement consacrés à l’accompagnement d’un public vieillissant avec des projets pour mieux les accueillir ». Autre axe d’amélioration : développer les nouveaux métiers de l’accompagnement. Un défi proposé à l’occasion du webinaire de Trisomie 21 France du 1er décembre 2022. Et de mentionner notamment le rôle crucial des « facilitateurs », qui participent à la construction d’un projet de vie avec la personne accompagnée.
La coloc’ avant l’EHPAD ?
Au sein de l’IMCP Loire, certains bénéficiaires en situation de handicap, passés 45 ans, ont intégré une colocation d’un nouveau genre. Pour anticiper l’impact du vieillissement et retarder l’entrée en maison de retraite ordinaire, l’association mise sur « l’habitat regroupé », qui mélange des studios individuels avec des espaces et activités communes. Pour Chantal, 59 ans, cette option, au sortir de l’Esat, est « rassurante » et idéale pour « maintenir son autonomie ».
« Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr »
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