Plutôt que l’école 100 % inclusive, place à la « scolarisation adaptée » ? C’est en tout cas ce que préconisent deux députés, rapporteurs d’une mission d’information sur l’instruction des enfants handicapés. Ils font 35 recommandations.
« Il ne suffit pas de mettre un cartable sur le dos d’un élève handicapé, le faire entrer à l’école, lui mettre une compensation humaine pour que ça fonctionne ». Sur les limites de l’école inclusive, le point de vue de Servane Hugues, députée Renaissance, ancienne professeure des écoles et mère de deux enfants handicapés, est tranché. Avec son collègue Alexandre Portier, député Les Républicains, elle a présenté le 28 novembre 2023 les conclusions d’une mission d’information sur l’instruction des enfants handicapés. L’objectif de cette « MI » ? Dresser un état des lieux de la scolarisation inclusive, bientôt 19 ans après la loi du 11 février 2005 qui en posait les bases. Si le nombre d’élèves handicapés a doublé dans les classes, passant de 210 979 à 475 978 entre 2004 et 2021, les conditions d’accueil sont-elles pour autant satisfaisantes ?
Un système éducatif bancal
« Non », répondent de concert les deux députés qui ont mené une vingtaine d’auditions auprès d’associations, de syndicats d’enseignants, d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), de fédérations de parents d’élèves. « Sur le papier tout semble bien mais, dans la pratique, c’est plus compliqué », admet Alexandre Portier qui dénonce « un mur administratif » auquel sont confrontées les familles (Lire : Ecole : les enfants handicapés face à un « mur administratif »). Les formalités sont « trop nombreuses », les démarches « répétitives » qui ajoutent « une douleur dans la douleur », les délais de réponses de l’administration sont encore trop longs, en moyenne entre six et huit mois. Quant à la formation des enseignants au handicap, elle semble « insuffisante »… Autant de problèmes qui rendent le système éducatif bancal en l’état et les « conditions d’accueil à l’école ordinaire insatisfaisantes » où « tous les handicaps ne trouvent pas leur place », mentionnant notamment le polyhandicap.
Vers une scolarisation adaptée ?
« Il faut absolument sortir du tout inclusif. De nombreux enfants très dépendants, non verbaux, dans l’incapacité même de tenir un stylo, sont souvent oubliés de notre modèle actuel. Il faut encourager le déploiement par exemple des unités externalisées de manière systématique », affirme Servane Hugues. Quitte à aller à l’encontre des injonctions très tranchées du comité des droits des personnes handicapées de l’ONU qui martèle l’impératif d’une école unique pour tous ? Le sujet est sensible alors qu’un enseignant a fait l’objet d’un avertissement (avant qu’il ne soit annulé) parce qu’il avait jugé qu’un de ses collégiens en situation de handicap n’avait pas sa place en classe (Lire : « Pas sa place en classe » : pas de sanction pour le prof ?) et que l’ex ministre Pap Ndiaye a été vertement critiqué en novembre 2022 pour des déclarations similaires (Lire : L’école inclusive pas pour tous: « dérapage » de Pap Ndiaye?)! Les deux rapporteurs appellent au compromis, plaidant pour une « scolarisation adaptée », à mi-chemin entre le tout inclusif et le tout institutionnel. Un refrain récemment entendu sur le volet de l’emploi dans la bouche du ministre Olivier Dussopt lors de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) (Lire : Loi Plein emploi/handicap: le milieu ordinaire à tout prix?).
Deux modèles étrangers étudiés
Les députés ont étudié deux modèles étrangers, sans qu’aucun ne soit totalement concluant. Le premier, italien, a misé sur le tout inclusif. « L’envers, c’est quand même la scolarisation familiale, le fait que ça repose trop souvent sur les familles et notamment sur les mères », détaille Alexandre Portier. A l’inverse, le modèle anglais, hybride, propose un autre schéma « plus décentralisé », à la main des autorités locales, « avec plus de souplesse », proposant deux options : un accueil en classe ordinaire avec un soutien adapté ou en établissements spécialisés. « Depuis quelques années, de nombreux parents se tournent vers ces derniers, pour plusieurs raisons : reconnaissance de la différence, classes réduites et équipement de pointe, harcèlement moindre », peut-on lire dans le rapport français.
35 recommandations
Après des visites sur le terrain, les deux députés ont rédigé 35 recommandations. Parmi les principaux axes, ils encouragent notamment à « remplacer la logique de compensation par l’aide humaine par une logique d’accessibilité du bâti, du matériel adapté et de l’environnement scolaire ». Ils invitent aussi « à adapter le parcours scolaire aux besoins de l’enfant » en « dissociant par exemple les cycles scolaires » selon son l’évolution de l’élève ou encore en « favorisant les passerelles (aller-retour) entre l’école ordinaire et l’établissement médico-social pour qu’il puisse changer d’environnement selon ses besoins ». Enfin, faisant écho aux orientations actuelles, ils demandent à « ouvrir l’école ordinaire au soin », en y « introduisant une expertise médico-sociale » et en « encourageant la coopération entre les acteurs éducatifs et médico-sociaux ». Et pourquoi pas une « inclusion inversée » ? Une des mesures propose de permettre aux « élèves non-handicapés de se déplacer au sein des établissements médico-sociaux pour des moments d’échange et des activités de loisir ».
« Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr »
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