Le handicap, une souffrance et une charge pour la société, selon de trop nombreux Français. Le rapport de la CNCDH* dévoile la persistance de préjugés, parfois consternants, évalue les politiques publiques et formule 27 propositions.
* Commission nationale consultative des droits de l’Homme
64 % des Français estiment que le handicap est un obstacle au bonheur et à une vie épanouie. Plus globalement, il reste un sujet de « méfiance et de malaise » pour une grande majorité d’entre eux, notamment les décideurs politiques. « Cela ne facilite pas le portage politique et peut expliquer en partie le retard de la France par rapport à d’autres pays », estime une enquête sur les préjugés à l’égard des personnes handicapées réalisée en 2021 à la demande de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNDCH). Les résultats sont présentés dans le rapport sur les politiques publiques du handicap, remis au gouvernement le 5 décembre 2023. Il a été écrit par quatre corapporteurs, dont un en situation de handicap. 215 pages et 27 recommandations pour lutter contre ces discriminations persistantes !
Le handicap coûte cher, selon les jeunes
« Malgré une bonne connaissance déclarée du handicap et de ses différentes formes, il est toujours perçu comme une tragédie personnelle et une source de souffrance, observe Cindy Lebat, auteure de l’enquête. Les Français n’ont pas intégré ce changement de paradigme vers une pensée sociale du handicap. » Autre constat : les perceptions diffèrent en fonction du genre et de l’âge. 31 % des moins de 35 ans estiment que les personnes handicapées coûtent trop cher à la société, contre 11 % des 50 ans et plus. De même, un tiers des trentenaires les considèrent comme « une charge », contre 22 % de leurs aînés. Consterné, Jean-Marie Burguburu martèle : « Les personnes handicapées doivent être, aux yeux de tous, non pas des objets de soin mais des sujets de droit ! ».
Effets bénéfiques de la sensibilisation
D’autre part, 38 % des hommes estiment que certains handicaps justifient de restreindre l’accès à plusieurs droits, soit 5 % de plus que les femmes. Les hommes sont également majoritaires à penser que si l’un de leurs collègues devenait handicapé, ce serait plus compliqué de travailler avec lui. Etrange contradiction, 89 % des sondés estiment tout de même que les personnes handicapées apportent une richesse au collectif de travail. Néanmoins, certains handicaps (psychique et mental) mettent plus « mal à l’aise » que d’autres (sensoriel et moteur). Un sentiment moins présent chez les individus qui côtoient plusieurs personnes concernées. L’enquête met ainsi en exergue les effets bénéfiques de la sensibilisation, mais aussi de la scolarisation et de l’insertion en emploi. 86 % des sondés perçoivent la présence d’un enfant handicapé dans une classe comme une chance pour les autres élèves, « permettant d’ouvrir les esprits et de nouer des solidarités ».
Politiques publiques : des efforts faits et à faire
Dans la seconde partie du rapport, la CNCDH met en lumière une prise de conscience politique et une « certaine dynamique » en matière de finances publiques qui permettent des « évolutions encourageantes et l’émergence de bonnes pratiques portées par les administrations ». Toutefois, « les résultats tardent encore à venir et, surtout, les mesures ne sont pas assez ambitieuses pour que les personnes en situation de handicap puissent vivre de manière autonome au sein d’une société inclusive ».
Education et emploi : renforcer l’accompagnement
En matière d’éducation, la CNCDH note une « prise de conscience tardive » et liste des perspectives d’amélioration : renforcer l’accompagnement des enfants sur les temps périscolaires, y compris dans l’enseignement supérieur et privé, consolider la formation continue des agents, poursuivre l’accessibilité des bâtiments…
Dans le domaine de l’emploi, le travail de sensibilisation « commence à porter ses fruits » mais il reste encore une marge de progrès, notamment en généralisant à l’ensemble des territoires les points d’accueil uniques Pôle et Cap emploi, en rendant effectif la mobilité professionnelle entre les secteurs protégé et ordinaire ou encore en rétablissant les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). « Nous sommes encore très largement dans une société bipartite où la personne handicapée est perçue comme un travailleur à part qui nécessite un investissement coûteux en temps et en argent et le handicap comme une inaptitude au travail », constate Anne Caron-Deglise.
La pénurie de logements renforce les préjugés
En matière de logement, les personnes handicapées sont perçues comme une « minorité coûteuse », nécessitant des aménagements spécifiques. « Dans un contexte de pénurie de logements, ces profils sont loin d’être prioritaires, voire ils dérangent », observe la CNCDH. Afin de lutter contre cette carence mais aussi contre les préjugés, « il est urgent de lancer des programmes de construction ‘d’habitat accompagné, partagé et inséré dans la vie locale’ », ajoute-t-elle. Elle exhorte également à revenir à l’obligation de 100 % de logements neufs accessibles -qui avait été abaissée à 20 % à l’issue de la loi Elan promulguée fin 2018-, la possibilité de choisir son logement étant « une condition essentielle à la vie autonome intégrée dans la communauté ». Autres recommandations : distinguer le lieu de vie et le lieu de soin et faciliter l’accès au parc privé et à des aides pour rénover des logements.
Une justice et une cité encore trop peu accessibles
La CNCDH note également un « manque d’accessibilité et d’aménagements raisonnables » concernant la participation à la vie de la cité. Pour changer la donne, elle incite à garantir la participation des personnes en situation de handicap à l’élaboration des politiques publiques, assurer une meilleure représentation parmi les élus, faciliter leur inscription sur les listes électorales ou encore rendre accessibles tous les bâtiments publics. Même constat pour la justice. La Commission recommande ainsi de renforcer les permanences juridiques et les points d’accès aux droits adaptés, de développer l’aide juridictionnelle gratuite, de rendre accessible le site de pré-plainte en ligne mais aussi de proposer aux professionnels de justice une formation sur les droits des personnes en situation de handicap.
Bannir les discriminations en ligne
A l’ère du numérique, la lutte contre les discriminations en ligne constitue un enjeu majeur. La CNCDH exhorte donc à créer une instance de régulation pour lutter contre les discours de haine, de créer des dispositifs de signalement clairs et accessibles sur les réseaux sociaux, de lancer un plan national d’action sur l’éducation et la citoyenneté numérique ou encore de sensibiliser et former les journalistes et les experts des médias à la diversité du handicap et à la façon de discourir et d’informer sur ce sujet.
Le résumé du rapport en FALC
« Les préjugés contribuent à minorer les droits des personnes en situation de handicap, conclut le rapport. Une société réellement inclusive doit adopter des stratégies visant à la disparition des stéréotypes négatifs et de toutes les pratiques concourant à dévaloriser, à inférioriser ou à invisibiliser ce public. » En ce sens, la CNCDH publie un résumé du rapport en FALC (Facile à lire et à comprendre) qui facilite la compréhension du plus grand nombre.
« Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr »
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