Violences envers les soignants : une campagne psychophobe?

décembre 29, 2023 / Comments (0)

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65 professionnels de santé seraient agressés chaque jour. Un chiffre alarmant qui a poussé le ministère de la Santé à mener une campagne choc mais jugée stigmatisante envers les « malades » ! Comprendre les « personnes avec un trouble psychique » ?

« Il faut être malade pour s’en prendre à un professionnel de santé. » Lancée le 19 décembre 2023, la nouvelle campagne du gouvernement contre les violences envers les soignants « frappe fort ». Sur les affiches placardées durant un mois dans les lieux de soin et sur les réseaux sociaux, on devine un médecin, un pharmacien ou une secrétaire médicale agressés par un patient. L’objectif ? Interpeller le grand public sur une triste réalité : chaque jour, en moyenne, 65 professionnels de santé sont victimes d’agressions physiques ou verbales. Cette campagne de communication figure parmi les 42 mesures du plan sur la sécurité des soignants, dévoilé en septembre 2023 par Agnès Firmin Le Bodo, alors ministre déléguée à la Santé.

Un mélange des genres dénoncé

Si le projet du gouvernement est salué par la profession, c’est la forme qui pose problème. Un terme, en particulier, est sous le feu des critiques : « malade ». Nombreux sont les professionnels du champ de la santé mentale qui dénoncent un jeu de mot un peu trop facile, de mauvais goût, qui donne à ce plan de com’ une connotation « psychophobique ». C’est le cas de David Masson, psychiatre spécialiste en réhabilitation sociale. « Pour s’en prendre à un professionnel de santé, il faut être complètement crétin, idiot, abruti, demeuré… tout ce que vous voulez. Mais pas malade », selon lui.

Amalgame avec la maladie psy

De son côté, Nicolas Rainteau, un confrère, se dit également « choqué » sur le réseau social Linkedin : « La violence envers les soignants est un vrai sujet qui nécessite une action mais certainement pas un mélange des genres ». Il suffit, selon lui, de se référer à la définition de « malade » pour comprendre que ce mot n’a pas sa place ici : « Qui est troublé dans ses facultés intellectuelles, morales ou dans ses sentiments : Esprit malade. Synonymes : cinglé (familier) – dérangé (familier) – désaxé – maboul (populaire) ». « Avec une petite connaissance des notions de stigmatisation, on se rend vite compte qu’on fait fausse route en utilisant ce terme très connoté négativement et qui laisse une place énorme à un amalgame douteux avec la maladie psychique », ajoute Nicolas Rainteau.

Méconnaissance des politiques

Même son de cloche du côté de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) qui dit « condamner le choix de ce slogan », « incitant à la stigmatisation des personnes concernées par les troubles psychiques et contribuant à l’incompréhension de leurs troubles auprès de l’opinion publique ». L’association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (AJPJA) partage cet avis : « Cette communication recycle l’amalgame éculé entre troubles psychiques et dangerosité. Nous constatons à nouveau avec effarement et inquiétude la méconnaissance des politiques sur le sujet de la santé mentale ». Un autre slogan, dédié cette fois aux professionnels de santé, propose une variante moins polémique : « Face à la violence, ne gardons pas le silence ».

Nuire à l’alliance thérapeutique

Un autre problème est souligné par l’AJPJA : l’opposition entre « malades » et « soignants ». Cette campagne nuirait ainsi à la sacrosainte « alliance thérapeutique » qui fait collaborer patient et thérapeute. Pour appuyer ses propos, l’association se réfère aux recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), concernant la dangerosité psychiatrique, et à l’expertise du Psycom, en matière de lutte contre la stigmatisation. En effet, selon la HAS, « les personnes souffrant de troubles mentaux ne sont que rarement impliquées dans une violence faite à des tiers : tous types de violences confondus, 3 à 5 % seulement de ces actes seraient dus à des personnes souffrant de troubles mentaux ». Elle précise d’ailleurs que ceux causées par ces individus « évoluent parallèlement à la violence observée dans la société ». 

Le choix des mots

Ainsi, en recommandation n°2 d’une commission d’audition sur la « dangerosité psychiatrique », la HAS souligne que, « pour respecter la dignité des personnes en ne les réduisant pas à leur maladie, il convient de bannir dans les médias et la communication au sens large les termes ‘schizophrène’, ‘malade mental dangereux’, ‘récidive’ ou encore ‘évasion’ pour leur préférer les termes « ‘personne souffrant de troublesschizophréniques’, ‘moment de violence au cours d’une maladie mentale’, ‘rechute’,’sortie sans autorisation’, etc. ». Quand on connaît les conséquences d’une telle stigmatisation (moins d’accès aux soins, au logement ou à l’emploi, moindre respect des droits, risque majoré d’être victime de violence…) et l’influence des médias sur les représentations populaires, le choix des mots n’est pas anodin.  

« Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr »

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