Bonne nouvelle pour les pensions d’invalidité après la revalorisation de 4,6 % le 1er avril 2024 ? En réalité, une opération blanche pour de nombreux bénéficiaires d’une prévoyance. La hausse ne sera pas répercutée, captée par les assureurs privés.
Les pensions d’invalidité sont revalorisées depuis le 1er avril 2024 de 4,6 %, afin de faire face à l’inflation. Une bonne nouvelle ? Pas forcément. Car, en réalité, un système de vase communicant va priver des milliers de pensionnés de ce coup de pouce attendu. On explique…
La part des prévoyances privées
La compensation de l’invalidité ne se résume en effet pas seulement au versement d’une pension par l’Assurance maladie. Elle est définie par un ensemble de connexions et notamment la prestation prévoyance qui peut compléter le montant de la pension. Soit le salarié a cotisé à une assurance complémentaire prévoyance individuelle soit l’employeur a souscrit un contrat collectif pour ses employés. Or il résulte de la rédaction d’une grande part de contrats que toute augmentation de la pension d’invalidité fait baisser d’autant la prestation prévoyance. En parallèle, cette dernière est rarement revalorisée ou, en tout cas, jamais autant que les pensions par l’Assurance maladie. Sur un forum du site Ameli.fr, ils sont nombreux à témoigner de ces « fausses revalorisations ».
Exemple concret avec Yann
Prenons un exemple concret, celui de Yann, habitant d’Abbeville : « Je suis en invalidité. Le montant retenu pour le calcul des prestations correspond à mes allocations Pôle emploi, que je percevais quand j’étais au chômage avant d’être déclaré invalide. Soit 13 468,50 euros par an, donc 1 122,37 euros par mois. La pension d’invalidité du régime de base étant de 911,73 euros, le montant versé par l’organisme de prévoyance est de 210,64 euros pour compléter ce que verse la Sécu. Seulement, voilà, lorsqu’il y a une revalorisation décidée par l’Etat, on ne touche rien de plus ! Car si la Sécu augmente bien sa part, la prévoyance réduit la sienne, pour que ça ne dépasse pas le plafond. Prenez par exemple une revalorisation de 4 %, comme en juillet 2022 : la part Sécu passe à 948,20 euros et la part prévoyance diminue pour être de 174,17 euros. Et, moi, je reste à 1 122,37 euros de pension, pas un sou de plus, malgré l’inflation ». Lorsque Yann a demandé des explications à sa prévoyance, il a reçu une confirmation officielle via ce mail laconique : « Nous vous informons que, chaque année, votre régime de base procède à une revalorisation de votre prestation, cela a pour conséquence une diminution du versement effectué par le Groupe Agrica ».
Détournement de l’argent public ?
Pour aller plus loin dans cette logique, la revalorisation des pensions par le gouvernement est donc captée par les assurances privées concernées, ce qui leur permet de faire d’appréciables économies… Les hausses récurrentes chaque année le 1er avril ou exceptionnelles comme depuis 2022 sont « ponctionnées à la source par les organismes de prévoyance et ne vont pas aux invalides ! Et c’est la Sécu qui paye ! », conclut Yann. « Moralité, l’inflation enrichit les régimes de prévoyance », s’indigne un autre pensionné. In fine, un détournement invisible de l’argent public ? Selon le Centre technique des institutions de prévoyance, « après un recul de 3,4 % en 2020, les cotisations s’inscrivent en progression de 8,3 % à 14,1 milliards d’euros en 2021. Soit une hausse de 4,5 % par rapport à 2019, année avant Covid ». Le secteur se porte donc plutôt bien !
Le Collectif des oubliés de la réforme 2022-257, qui milite depuis des mois pour les droits des pensionnés dans le cadre d’une autre réforme de 2022 particulièrement décriée (Réforme invalidité : des pensionnés invisibles et à bout), a soulevé ce lièvre ; après l’analyse de nombreux dossiers de ses membres, elle entend donc alerter sur cette situation aberrante et ces clauses contestables.
Question de droit privé !
Avant lui, ce système a été dénoncé à plusieurs reprises, notamment par des sénateurs et députés. En juillet 2023, le député LFI François Ruffin (LFI) demande à la ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées d’imposer aux prévoyances privées de jouer le jeu en maintenant, voire en augmentant, leurs prestations pour que les assurés bénéficient d’une véritable revalorisation. Mais, selon le ministère, « le montant d’une rente complémentaire d’invalidité est librement défini par les parties, et les conditions de revalorisation sont généralement prévues par le contrat ». En d’autres termes, le gouvernement se dédouane, pour le moment, de cette responsabilité au motif qu’elle relève du droit privé. Face à cette impasse, les pensionnés lésés appellent à faire pression, en écrivant au médiateur de l’assurance, aux députés, aux ministres, à l’Elysée… Le Collectif des oubliés, lui, s’engage à poursuivre ses actions.
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