« Pourquoi, lorsqu’on évoque les personnes handicapées, parle-t-on de ‘maltraitance’ et pas de ‘violence’ comme pour les femmes ? » Marie Rabatel, autiste et victime, exaspérée par cette « atténuation », entend changer les discours… et les mentalités !
Maltraitance ou violence ? Des deux, quel est le mot le plus proche des réalités lorsqu’on évoque les personnes en situation de handicap ? C’est « maltraitance » qui, désormais, s’impose presque systématiquement, notamment lorsque sont dénoncés certains scandales dans les établissements médico-sociaux, pour qualifier les « Etats généraux » organisés par les pouvoirs publics, dans le cadre d’un outil élaboré par la Haute autorité de santé (HAS) en 2023 ou d’un rapport de l’Organisation mondiale de la santé en 2022 sur les personnes handicapées dans les établissements de santé.
Marie, une enfant « violentée »
Pourtant, Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone des femmes autistes (AFFA), exhorte à utiliser les bons termes. Victime, elle l’a été, enfant, abusée par certains professionnels, physiquement et psychologiquement. Elle n’a jamais eu le sentiment d’être « maltraitée » mais pleinement « violentée ». Pour elle, la rhétorique de la maltraitance participe à l’entretien de l’omerta sur les violences. Alors, est-ce un « détail » sémantique ou cette question a-t-elle du sens ?
Une notion récente
La notion de maltraitance est relativement récente. En 1976, le mot n’apparaît pas encore dans le dictionnaire Le Robert en sept volumes (seul « maltraiter » y figure). Sa définition consensuelle ne fait son entrée dans le Code de l’action sociale et des familles qu’en 2022 à la faveur de la loi dite « Taquet ». Elle définit le mal fait à un individu, dans le cadre d’une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement, alors que celui-ci est faible et aurait mérité une protection.
Un concept sociétal, l’autre médico-social
Le terme est utilisé, d’abord, à propos des plus jeunes mais aussi pour les animaux, puis peu à peu pour les personnes âgées et handicapées. A l’inverse, on parle de « violences faite aux femmes » et aujourd’hui aux enfants, terme réaffirmé notamment, en 2021, dans l’intitulé de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants). La maltraitance serait donc un concept issu du champ médico-social ; la violence renvoie plutôt au champ sociétal.
Des mots déviés de leur sens premier
Mais, si l’on se réfère à sa définition exacte, la maltraitance englobe bel et bien la violence qui est définie principalement par « un abus de la force ». Selon Charles Gardou, anthropologue, auteur, spécialiste des questions de handicap, « le concept de maltraitance, plus extensif, renvoie aux diverses formes de violence (en actions ou en paroles), qu’elles soient physiques, psychologiques, sexuelles, etc. Car maltraiter, c’est malmener, tourmenter, torturer, frapper, opprimer, contraindre, faire outrage ; faire subir de mauvais traitements à quelqu’un (ou à un animal), avec plus ou moins de violence ». Sur le papier, la maltraitance semble donc plus extrême. Et dans la pensée collective ? Charles Gardou consent que « dans ce cas, comme dans bien d’autres, les usages populaires éloignent souvent le sens premier des mots, qui peut même finir par se perdre ».
Une façon de déshumaniser la personne ?
Marie Rabatel, membre de la Ciivise, portant la voix des enfants en situation de handicap, n’en démord pas : « Utiliser le mot ‘maltraitance’ quand on subit des ‘violences’ révèle un sacré manque d’empathie et déshumanise. Elle positionne la personne handicapée dans un statut d’objet institutionnel. La véritable violence est ce déni d’humanité ». « C’est un artifice de rhétorique pour minimiser des faits qualifiables pénalement mais aussi atténuer la faute et donc l’impact sur le ressenti de la victime », poursuit-elle. « Serait-ce une manière de dédouaner le professionnel d’une violence commise DANS l’institution envers un résident et de rendre responsable, et non coupable, la violence DE l’institution ? », questionne la militante, faisant écho à Stanislaw Tomkiewicz, psychiatre, qui, dès 1982, a mis en lumière la notion de violences institutionnelles.
Macron parle de « violences »
Marie Rabatel questionne : « Le mot maltraitance ne serait-il pas une simple signature de l’influence d’un groupe d’intérêt sur les décideurs des politiques publiques ? ». « Violences », c’est pourtant bel et bien le mot qu’avait employé Emmanuel Macron lors de la Conférence nationale du handicap (CNH) en avril 2023. Un élément de langage à contre-courant que Marie Rabatel a aussitôt salué. Plus récemment, en avril 2024, la plateforme gouvernementale Mon parcours handicap, qui vise à apporter des réponses sur des sujets encore tabous, utilise à son tour, pour une nouvelle rubrique, le terme « Prévention des violences » (Mon parcours handicap: 2 rubriques sur intimité et violences). Les mots justes, un premier (petit) pas pour fendiller l’omerta ?
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