L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) transforme notre façon de vivre et de travailler. Mais est-elle inclusive en cas de handicap ? Si les bénéfices sont indéniables, les dérives aussi. Une étude approfondie explore ces enjeux.
Intelligence artificielle, ange ou démon ? Et en cas de handicap : oui mais à quelles conditions ? L’IA, désormais omniprésente dans notre quotidien, offre des opportunités parfois fulgurantes. Pour le meilleur ?
Une étude passionnante
Cette technologie soulève des questions cruciales concernant les droits de l’Homme et l’accessibilité. Alors le Conseil français des personnes handicapées pour les affaires européennes et internationales (CFHE) s’est penché sur la question. En mai 2024, il publie un livret « Handicap et IA : potentiel, risques et défis ». 36 pages passionnantes (en anglais et français) pour entrer dans le détail et se faire une opinion !
Des opportunités…
Santé, mobilité, communication… Des avancées technologiques majeures ont été réalisées qui confèrent à l’IA la faculté de transformer la vie des personnes handicapées, tout comme les pratiques des professionnels qui les accompagnent, en améliorant leur autonomie, leurs habiletés sociales et donc leur qualité de vie. Elle peut même leur permettre de récupérer partiellement des facultés perdues, comme la parole ou la marche. Quelques exemples ?
Des prouesses révolutionnaires
Les smartphones offrent des fonctionnalités d’identification des objets et de description de l’environnement, facilitant ainsi le quotidien des utilisateurs aveugles ou malvoyants. Des applications telles que SeeingAI de Microsoft permettent d’explorer des photographies en obtenant des descriptions détaillées. L’appli Lookout de Google fournit des informations sur le contenu des images. Un smartphone peut désormais offrir un guidage auditif en temps réel pour la navigation dans des environnements complexes.
Autre prouesse, en mai 2023, Apple lance une fonctionnalité révolutionnaire, « Live Speech », qui permet aux personnes risquant de perdre l’usage de la parole en raison de maladies neurodégénératives de continuer à communiquer via des conversations téléphoniques ou en visioconférence avec une retranscription audio pour l’interlocuteur (Troubles de la parole : ils recréent leur voix… digitale).
Des exosquelettes aux manettes
Dans le domaine de l’emploi, l’IA peut être un facteur d’inclusion des personnes en situation de handicap, via ce type d’outils ou encore des exosquelettes motorisés qui fournissent un soutien physique en cas de mobilité réduite. Plus futuriste encore, Neuralink, fondée par Elon Musk en 2016, entend redonner de l’autonomie aux personnes paralysées via des implants cérébraux ; elle a récemment obtenu l’autorisation de réaliser ses premiers tests sur des êtres humains aux Etats-Unis (Paraplégie : bientôt un implant cérébral pour remarcher?).
Mais de grands risques aussi…
Pour autant, aussi époustouflante soit-elle, l’IA introduit des risques pour les droits des personnes handicapées. Le CFHE parle même de « danger pour les droits humains ». Ces « inquiétudes » seraient « partagées par les différents acteurs au niveau mondial » : Banque mondiale, ONU, Unesco… « Les nouvelles technologies peuvent exacerber les inégalités et les discriminations si elles ne sont pas correctement réglementées », explique Gerard Quinn, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées.
La valorisation du capacitisme
« Les données qui sous-tendent les algorithmes de l’intelligence artificielle, appelés ‘boîte noire’, peuvent refléter et intégrer des préjugés capacitistes (et âgistes). Le handicap peut être ‘perçu’ par la technologie comme déviant et donc indésirable », poursuit-il. L’étude déplore donc une « absence de transparence sur le fonctionnement et le processus de décision des machines, ce qui rend difficile l’identification et la lutte contre la discrimination ».
Des chatbots recruteurs ?
Une menace manifeste dans l’emploi ? De plus en plus de grandes entreprises utilisent des logiciels pour filtrer la liste des candidats. Des chatbots intelligents, qui interagissent avec les utilisateurs, vont parfois jusqu’à mener des entretiens de pré-embauche. Avec le risque, en cas de handicap, de ne pas rentrer dans la bonne case !
Des « faces » non conformes ?
Dans le domaine de la sécurité, certains algorithmes de reconnaissance faciale considèrent même les personnes handicapées comme « indignes de confiance » parce que leur visage n’est pas conforme à la norme programmée dans le système. Elles constituent alors une « menace » dans un monde trop normé. L’enquête du CFHE passe au crible de nombreux autres domaines, illustrés de situations concrètes…
L’utilisateur au cœur du processus
Le défi, dans ce tournant historique, est donc de garantir que les technologies d’IA sont développées de manière inclusive, en tenant compte des particularités et besoins spécifiques des personnes handicapées. Le CFHE fait donc plusieurs recommandations qui incluent la collecte de données de formation représentatives et l’implication des utilisateurs lors de la conception des produits pour s’assurer que leurs besoins sont satisfaits, avec, ensuite, la nécessité d’une évaluation continue, tandis que les développeurs et les entreprises doivent garantir la conformité aux lois et réglementations en matière d’accessibilité. « La prise de position politique est à encourager aujourd’hui, au moment où la plupart des textes juridiques en la matière n’en sont encore qu’au stade de l’élaboration », interpellent ses auteurs.
De l’intérêt de l’IA avec les dys
Au même moment, l’ANAE (approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant) publie un livret (N° 189) sur « l’intérêt et enjeux des nouvelles technologies dans le domaine des déficiences sensorielles et des Dys ». Elle observe que « l’intégration de ces nouvelles technologies peut avoir un impact significatif sur l’éducation spécialisée, en fournissant aux enseignants de nouveaux outils pédagogiques plus efficients avec un même contenu dans divers formats multisensoriels ». Les auteurs mentionnent à leur tour que « la recherche, notamment appliquée, sur ces nouvelles technologies ne peut se faire sans la participation des parties prenantes ». Ce qui, manifestement, est loin d’être le cas !
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