Artus et son Club Med handi 5 étoiles: la fausse bonne idée?

juillet 12, 2024 / Comments (0)

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Fort du succès d' »Un p’tit truc en plus », Artus annonce vouloir créer 2 Club Med handicap 5 étoiles. Si l’intention peut sembler louable, est-ce vraiment une bonne idée ? On a posé la question aux personnes concernées. Les avis ne sont pas tranchés !

L’humoriste Artus a créé la surprise avec son film Un p’tit truc en plus, qui a séduit 8,5 millions de spectateurs en juillet 2024. Mais, dans les colonnes du Parisien, il révèle travailler sur un autre projet : créer « un Club Med pour des gens en situation de handicap ». Il a déclaré « rêver d’un village-vacances de standing 5 étoiles, car ce n’est pas parce qu’il y a des handicapés dedans qu’il faut que les lieux soient glauques ». L’un serait construit à la mer, l’autre à la montagne, tous deux baptisés du nom de son film. Il s’attèle maintenant à lever des fonds. 

Des avis contraires !

Ce projet n’est-il pas trop « validiste », en déviant du cap fixé notamment par l’ONU qui appelle à la non-ségrégation ? Ou, au contraire, va-t-il dans le bon sens, avec peut-être quelques écueils à éviter ? Handicap.fr a posé la question aux associations de personnes handicapées. Il y a des pour et des contre mais le mot « maladroit » est deux fois cité. Alors, entre « toute initiative bonne à prendre », « cage dorée » et « intention louable », ce « petit projet en plus » de Club Med handicap ne fait pas forcément l’unanimité.

« Intention louable mais maladroite »

Collectif handicaps, qui regroupe 50 associations
L’intention d’Artus est louable (offrir des lieux de vacances de qualité, accessibles et adaptés aux personnes handicapées) mais peut être perçue comme maladroite, voire contre-productive, si elle encourage la séparation entre personnes handicapées et « valides ». Il est certain que l’accès aux vacances est un sujet souvent peu, voire pas, traité par les politiques publiques, tant en termes de coût, de quantité et de qualité de l’offre. L’enquête sur le drame du gîte de Wintzenheim à l’été 2023 où dix adultes en situation de handicap et leur accompagnateur avaient péri dans un incendie, a mis en exergue l’urgence à restaurer et améliorer les lieux de vacances adaptées organisées, également rappelé dans le rapport de l’Igas (inspection générale de l’action sociale) en juillet 2024 (Séjours handicap : l’Igas exhorte à revoir la règlementation). Espérons que cela fera bouger les pouvoirs publics et entraînera des travaux et des réformes en la matière.

« Des séjours adaptés rares »

Luc Gateau, président de l’Unapei (association dédiée aux personnes avec un handicap mental)
Cette année encore, de très nombreuses personnes en situation de handicap intellectuel et leurs proches n’accèderont pas aux vacances. Aujourd’hui, les séjours de vacances adaptées existent mais restent rares. Une initiative allant dans le sens de l’accès aux vacances pour tous mérite d’être saluée, à condition qu’elle réponde aux besoins d’accompagnement propres à chacun et qu’elle soit accessible au plus grand nombre à un prix raisonnable. Ces séjours ne doivent pas occulter la nécessité de rendre l’ensemble de la société adaptée aux besoins des personnes en situation de handicap, et cela, toute l’année et en tout lieu.

 « Une explosion du coût des vacances »

Jacky Vagnoni, président de la Fédération paralysie cérébrale France
C’est une bonne idée. J’appelle toutefois l’attention des promoteurs sur le fait que les moyens des personnes en situation de handicap sont contraints, qui plus est dans un contexte très inflationniste. Or, je constate, depuis plusieurs années, une explosion des coûts des vacances adaptées au détriment des projets des personnes et de leurs accompagnateurs. Il faut donc des sites de qualité mais avec des offres compétitives et accessibles financièrement.

Ce projet ne peut avoir de sens que s’il englobe une approche de forte mixité des publics. Il serait en effet à total contre-courant si son seul but est de créer un lieu de vacances pour personnes en situation de handicap. Le Club Med, à l’origine, ce sont des lieux facilitant les rencontres, en abolissant, le temps des vacances, les barrières sociales. Ce concept pourrait être transposé au  handicap. Mais j’encourage, en tous les cas, les promoteurs à s’adjoindre les conseils des personnes en situation de handicap afin qu’elles puissent participer à la conceptualisation du projet. 

Lire l’interview complète de Jacky Vagnoni : Un p’tit truc en plus : les vacances adaptées idéalisées?. 

« Artus propose une cage dorée »

Odile Maurin, présidente d’Handi-Social (association de défense des droits des personnes malades et/ou handicapées – lutte contre le validisme)
Artus fait des propositions hyper validistes. Ce qui serait beaucoup plus adapté, c’est que tous les lieux de vacances, 5 étoiles ou non, soient adaptés aux personnes handicapées et qu’elles y soient toutes accueillies au même titre que les personnes valides en veillant à ce que bâti, transport et espace public soient accessibles. Mais aussi que l’organisation prenne en compte leurs besoins. 

Artus se contente de proposer une cage dorée pour se donner bonne conscience. Il plaque sur les personnes handicapées des représentations erronées. S’il était vraiment militant et un allié, il se battrait pour que nous puissions avoir des revenus décents, pour que tout soit accessible et que la société s’adapte à nous. En l’état, il se sert des personnes handicapées pour s’acheter une image. Nous ne sommes pas ses tokens.

« Faire des villages expérimentaux »

Marie-Christine Tezenas, présidente du Groupe ployhandicap France
La question n’est pas simple. Cette proposition est intéressante mais a le défaut de considérer le handicap comme une seule entité sans tenir compte de la spécificité des besoins et de la singularité des attentes. Ce n’est pas en termes de handicap qu’il faut le penser mais d’autonomie et de besoin d’aide humaine ou d’aménagements. Cela s’appliquerait alors aux personnes plus âgées, blessées, convalescentes… Il serait intéressant de faire des villages expérimentaux pour pouvoir transposer ensuite un certain nombre d’idées et d’aménagements dans les villages vacances « ordinaires » plutôt que de ghettoïser les personnes. Dans le fond, ça ne devrait pas exister mais c’est bien que ça existe… pour le moment.

Après, se pose encore et toujours la difficulté des personnes très dépendantes avec un besoin d’accompagnement soutenu et formé pour des raisons de vulnérabilité et de comorbidités liées au handicap, et qui n’ont pas de lieu de vacances mais se voient proposer, encore et toujours, une « inclusion » parfois totalement inadaptée. A quel public s’adresse vraiment la proposition d’Artus ?

« Très maladroit cet humoriste ! »

Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone de femmes autistes
Très maladroit cet humoriste ! Ce n’est pas conforme aux engagements internationaux signés par la France. Comme le rappelle l’article 19 de la Convention internationale des personnes handicapées des Nations unies, elles ont le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres. Ainsi, nous devons sortir de cette culture de ségrégation et penser accueil inclusif en milieu ordinaire. Cela est bénéfique pour tous et pas uniquement pour le respect des personnes handicapées et de nos droits. Il permet aux personnes non handicapées d’apprendre à vivre avec les personnes handicapées et de se rendre compte que nous pouvons apporter beaucoup à la société, comme a pu s’en rendre compte Artus pour son film Un petit truc en plus. Il devrait plutôt se rapprocher des Clubs Med ou autres lieux de vacances pour les rendre accessibles à toutes et tous.

« Toute initiative est bonne à prendre »

Chams-Ddine Belkhayat, président de Bleu Network et Bleu Inclusion (autisme)
J’en pense que toute initiative pour les personnes handicapées et leur famille est bonne à prendre. Il y a aujourd’hui des milliers de personnes qui n’osent pas partir en vacances ou même aller à la piscine par peur du regard des autres. Peut-être se sentiront-elles à l’aise dans un lieu où la différence est la norme ? Même si les politiques et la communication institutionnelles vont dans le sens du tout inclusif, en pratique presque rien n’est fait, et les personnes concernées en ont marre. Donc, non, je ne trouve pas que le projet d’Artus soit maladroit. Et c’est une bonne stratégie de surfer sur la vague du succès de son film.

© Instagram thetrueavgr / Gaëtan Conan

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